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Biologie

Un écosystème sain est-il riche en parasites?

Introduction & problématique


À l’exception de la première étude historique de Robert Payne dans les années 1940, le rôle des parasites dans le fonctionnement de l’écosystème a longtemps été exclu de la recherche en écologie. Bien que représentant, selon les estimations, près de 50% de la diversité spécifique, leur faible contribution à la biomasse a souvent conduit les écologistes à les négliger. On assiste cependant depuis une vingtaine d’années à un renversement de la tendance, et leur rôle fondamental dans de nombreux processus ecosystèmatiques — structure des communautés, topologie des réseaux trophiques, ecosystem engineering, dynamique des populations — est maintenant reconnu. Peut-on alors, avec Hudson et coll. (2006), aller jusqu’à postuler qu’un écosystème sain est celui qui est riche en parasites ?

Dans cette synthèse, j’ai choisi d’illustrer cette question fondamentale par deux aspects : l’importance des parasites pour la biologie de la conservation, ici évaluée via une approche expérimentale de l’effet de parasites sur des hôtes non-habituels, et le rôle différent des parasites spécialistes et généralistes dans la structuration des communautés et la biodiversité.

Poser la question de la relation entre parasitisme et santé de l’écosystème demande de définir le concept de santé à l’échelle d’un écosystème. La définition habituelle de la santé d’un individu, fixée par l’OMS en 1946, n’est pas transposable à un écosystème. Il s’agit en effet d’un ensemble complexe comprenant des éléments biotiques — individus, communautés, populations — et abiotiques — matières inorganiques, biotope — en interaction. De ces interactions résultent les services écosystématiques. Sa santé représente donc plus qu’un somme de la santé de chacun des individus.

Suite aux travaux de Robert Costanza et Michael Mageau notamment, on retient trois critères permettant l’évaluation de la santé globale d’un écosystème : (1) l’organisation, (2) la vigueur 3, et (3) la résilience 4 . Ces trois paramètres garantissent que le système en question atteint le maximum de son espérance de vie (et qu’il n’est pas atteint par le distress syndrome, ensemble de processus irréversibles conduisant à son effondrement précoce).

https://youtu.be/dTScpmr4Ua0

Adaptation locale et biologie de la conservation


L’hypothèse selon laquelle les parasites infestant des hôtes qu’ils n’ont jamais rencontré (non-habituels, pour lesquels il n’y a pas eu d’adaptation locale) sont plus virulents que sur leurs hôtes endémiques, est largement répandue. Ce fait est susceptible d’avoir des répercussions pour la biologie de la conservation, notamment lors d’actions de repeuplement.

Sasal et coll. (2000) ont tenté une vérification expérimentale de ce postulat, en prélevant des digènes (Labratrema minimus Stossich 1887) et en infestant différentes lignées européennes de Gobie commun (Pomatoschistus microps Krøyer 1838) : la lignée sur laquelle les parasites ont été prélevés, deux lignées infestées par L. minimus de souches différentes, et une lignée vivant dans une zone ou L. minimus est endémique, mais non infestée.

Contrairement à ce qu’on attendait selon le paradigme énoncé précédemment, Sasal et coll. n’ont pas pu mettre en évidence d’effet histologique plus important des parasites sur les lignées d’hôtes avec lesquelles ils n’ont pas coévolué. Cette absence de dommages importants aux hôtes non habituels ne signifie pas une absence d’effets sub-létaux, comme Sasal et coll. le rappellent : “Lack of evidence of serious harm to their hosts by introduced parasite species […] merely underlines the limitations of our knowledge on the subject”.

Il convient de comparer ce résultat avec celui plus récent de Seppälä et coll. (2007), dans lequel l’impact du parasitisme (plérocercoides de Schistocephalus cotti) sur une population de chabot commun (Cottus gobio L.) introduite est étudié. On montre que les plérocercoides ont un effet important sur C. gobio, avec notamment un arrêt du développement des gonades. Les S. cotti représentent une proportion importante du poids des hôtes, indiquant que les dommages sur un nouvel hôte doivent être évalués avec attention pour chaque système, et qu’il est peut-être plus difficile qu’il ne semble d’inférer des grandes tendances avec des résultats expérimentaux aussi peu nombreux et contradictoires.

Le parasitisme comme régulateur de la biodiversité


On appelle compétition apparente l’arbitrage de la compétition directe entre deux espèces par un ennemi commun (figure 1). Les parasites généralistes sont susceptibles de prendre part à l’arbitrage dans une compétition, ce qui a des répercussions pour la structure de la communauté et la biodiversité. Hudson & Greenman (1998) rapportent qu’il est possible d’aboutir à l’exclusion d’un hôte en présence d’une nouvelle espèce hôte (sur un système insectes-parasitoïde). La compétition apparente s’accompagne la plupart du temps de différents taux de transmission d’une espèce hôte à l’autre, ce qu’Haldane avait pressenti dès 1949 : “a non specific parasite is a powerful competitive weapon”. Les parasites généralistes sont donc susceptibles de réduire la biodiversité, en favorisant les espèces qui les supportent le mieux.

Les parasites spécialistes ont un effet différent. Suite à leurs travaux réalisés dans les années 1970, sur la biodiversité des forêts tropicales, Daniel Janzen et Joseph Connell ont avancé l’hypothèse que les exploiteurs spécialistes (dans leur cas des herbivores) pouvaient agir comme drivers de la biodiversité. Le postulat de ce modèle est que les parasites ont un plus grand succès si leurs hôtes ont une densité importante. Une stratégie de protection des hôtes consiste a se disperser pour minimiser l’impact du parasite. Cette stratégie mise en évidence chez les plantes trouve un équivalent dans le système bactérioplancton-bactériophages (“killing the winner”).

Maintenant que le monde entier porte un masque buccal. On se rend compte de l’importance des équipements de protection individuel (EPI) à l’hôpital et dans l’industrie alimentaire.

Dans le cas des parasites, les bonnets chirurgicaux, les charlottes ou les calots sont des protections importantes de l’équipement des travailleurs exposés. Les cheveux peuvent en effet facilement transporter des parasites. Les coiffes servent donc à prévenir la contamination par des micro-organismes provenant des cheveux ou du cuir chevelu. Il est en conséquence important qu’un bonnet chirurgical soit enfilé au dernier moment et couvre entièrement les cheveux.

Conclusion : un écosystème sain est-il riche en parasites ?


Sur la base des informations que l’on trouve à travers la littérature, et des quelques éléments que j’ai tenté d’apporter dans cette synthèse, on peut répondre à la question de Hudson et coll. de manière positive. Quelques nuances, cependant, doivent être apportées. Le rôle du parasitisme dans la capacité de résilience n’est que peu étudié. On peut éventuellement considérer que les dommages plus importants subis par les hôtes non endémiques (Seppälä et coll. 2007) sont un mécanisme de “protection”. D’autre part, les effets différents des parasites spécialistes et généralistes sur la biodiversité et la structure des communautés vont permettre l’organisation de l’écosystème, et contribuer à sa santé.

Il semble raisonnable de conclure qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, “there is increasing evidence that a healthy ecosystem is an infected ecosystem”, comme le concluaient Hudson et coll.. Il faut toutefois ne pas surestimer l’impact du parasitisme dans les processus écosystèmatiques. Si le peu de considération qu’il a reçu de la part des écologistes jusqu’à ces 15 ou 20 dernières années n’a plus la moindre raison d’être, il semble important de prendre en compte les effets conjoints de facteurs environnementaux, qui interfèrent avec l’action des parasites, ce qui implique de concevoir des protocoles expérimentaux robustes pour étudier des phénomènes complexes.

Il semble maintenant important d’avoir une vision transversale de l’effet du parasitisme dans le fonctionnement des écosystèmes : non plus simplement en étudiant son impact à travers mécanismes, mais dans la globalité. En plus de l’effort de modélisation, une approche expérimentale paraît indispensable, notamment en utilisant les espaces protégés (donc a priori sains) que constituent les réserves naturelles.

Figure : Compétition apparente entre deux taxons hôtes d’un même parasite. Les parasites généralistes modifient la structure des communautés et leur biodiversité.


Références


Hudson, P. & Greenman, J. (1998), ‘Competition mediated by parasites : Biological and theoretical progress’, Trends Ecol Evol 13(10), 387.

Hudson, P. J., Dobson, A. P. & Lafferty, K. D. (2006), ‘Is a healthy ecosystem one that is rich in parasites ?’, Trends Ecol Evol 21(7), 381–385.

Sasal, P., Durand, P., Faliex, E. & Morand, S. (2000), ‘Experimental approach to the importance of parasitism in biological conservation’, Mar Ecol Prog Ser 198, 293–302.

Seppälä, T., Chubb, J. C., Niemelä, E. & Valtonen, E. T. (2007), ‘Introduced bullheads Cottus gobio and infection with plerocercoids of Schistocephalus cotti in the Utsjoki, an Arctic river in Finland’, J Fish Biol 70, 1865–1876.

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